Durant le 1er trimestre 2022, la Chambre des Métiers et l’Automobile Club du Luxembourg (ACL) ont mené une enquête sur la mobilité (électrique) auprès des entreprises artisanales. Gilles Reding, directeur Affaires environnementales, technologiques et innovation, et Max Urbany, conseiller économique à la Chambre des Métiers nous livrent les principaux résultats de cette enquête.

Max Urbany, conseiller économique, et Gilles Reding, directeur Affaires environnementales, technologiques et innovation, Chambre des Métiers.
Max Urbany, conseiller économique, et Gilles Reding, directeur Affaires environnementales, technologiques et innovation, Chambre des Métiers.

En préambule, quel est l’état des lieux actuel du parc de véhicules des entreprises artisanales ?

64 % d’entre elles possèdent un parc de véhicules, qui en compte 17 en moyenne, composé en majorité de voitures de service et/ou de camionnettes. Actuellement, 91 % des voitures et 99 % des camionnettes ont un moteur thermique.

La mobilité est-elle envisagée comme un défi par les entreprises artisanales ?

De par leur métier et les prestations qui y sont liées, les entreprises artisanales sont amenées à faire beaucoup de déplacements, donc le temps perdu passé dans le trafic nuit effectivement à leur compétitivité. Selon les calculs que nous avons réalisés avec l’ACL, la perte de temps des salariés dans le trafic s’élève à 141 heures par an et par véhicule, ce qui est énorme. L’enquête révèle que pour 6 entreprises sur 10, c’est une préoccupation majeure.

L’investissement conséquent que représente le passage du thermique à l’électrique est-il le principal frein à l’électromobilité ?

En effet, pour 77 % des artisans sondés, le coût des investissements reste l’obstacle majeur, sachant qu’il n’existe sur le marché actuel aucun véhicule rentable du fait du prix d’achat plus élevé, du peu d’autonomie – encore moindre en hiver ou lorsque les produits transportés sont réfrigérés –, de la charge utile qui est réduite vu le poids et le volume des batteries, et d’autres paramètres comme le temps de recharge, etc. Un autre problème, dont on parle rarement, réside aussi dans le fait qu’uniquement les véhicules de 3,5 tonnes de masse maximale autorisée peuvent être conduits par les détenteurs du permis voiture. Augmenter le tonnage pour avoir plus de charge utile signifierait que les conducteurs devraient à l’heure actuelle être en possession du permis camion.

Or, le ministre compétent est bien conscient de cette problématique et s’est montré favorable à un changement dans ce sens, ce qui est un point positif pour l’artisanat, déjà en mal de main-d’oeuvre qualifiée. Seules 37 % des entreprises comptent investir dans l’électromobilité et 28 % des chefs d’entreprise estiment que l’électrique serait un plus pour l’image de marque de leur entreprise. Concernant les bornes de recharge, 15 % des entreprises artisanales sont dotées d’au moins une borne. Les efforts à faire au niveau des infrastructures de recharge sont donc considérables, voire titanesques, en amont de songer à déployer des parcs électriques au sein des entreprises.

Le déploiement de réseaux de bornes de charge ultra rapide sur la voie publique devrait être beaucoup plus rapide, notamment sur les grands axes qui mènent aux frontières puisque 54 % de la main-d’oeuvre dans l’artisanat est frontalière, dont un bon nombre effectue le trajet domicile-travail-domicile avec une camionnette/voiture d’entreprise. Selon une analyse de l’ACL, vu l’autonomie et le temps nécessaire à la recharge tels qu’ils sont aujourd’hui, les stations de recharge auront besoin de 10 à 15 fois plus de bornes que de pompes à essence si on veut répondre à la même demande.

« Pour 77 % des artisans sondés, le coût des investissements reste l’obstacle majeur, sachant qu’il n’existe sur le marché actuel aucun véhicule rentable du fait du prix d’achat plus élevé, du peu d’autonomie – encore moindre en hiver ou lorsque les produits transportés sont réfrigérés –, de la charge utile qui est réduite vu le poids et le volume des batteries, et d’autres paramètres comme le temps de recharge, etc. »

Puisque le tout-électrique n’est pas pour demain, comment avancer ?

La moitié des artisans sondés estiment que des technologies alternatives sont également adaptées à leurs activités. Les biocarburants apparaissent comme une solution de transition, bien qu’ils coûtent plus chers puisqu’ils ne bénéficient pas de primes des pouvoirs publics comme les motorisations électriques. Nous pensons que l’hydrogène est une autre piste dont il faudrait accélérer le développement, avec un réseau de distribution dédié, ce qui faciliterait la conversion du parc de véhicules utilitaires légers et lourds vers une flotte moins polluante. Les efforts du gouvernement pour accélérer l’électromobilité, notamment avec les aides Clever fueren, est une excellente chose, bien que notre enquête ait révélé qu’un tiers des entreprises ne savaient pas que leur parc de véhicules serait éligible. Afin de mieux sensibiliser nos membres, des workshops et des formations ciblés sont en cours d’élaboration avec l’ACL.

Vous plaidez donc pour une transition en douceur…

Cette enquête nous a permis de faire un état des lieux et de mettre en avant les nombreux problèmes que rencontrent les artisans. Étant donné que l’offre est très limitée pour qui souhaiterait acheter une camionnette ou un camion électrique, pénaliser les entreprises n’est pas une solution et freiner le recours à des alternatives émergentes non plus. Nous appelons donc les responsables politiques à prendre en compte les réalités de terrain, c’est-àdire l’inadéquation qui existe aujourd’hui entre l’électromobilité et les besoins des entreprises artisanales. Celles-ci doivent opter en connaissance de cause pour la solution qui leur convient le mieux et non sous la contrainte.

Au-delà de la prolongation du régime d’aides Clever fueren après le 31 mars 2024 que nous réclamons, nous souhaiterions aussi que les plafonds prévus par le régime d’aides en faveur des entreprises investissant dans des infrastructures de charge pour véhicules électriques soient revus à la hausse. Les entreprises sont actuellement dans une période de grande réflexion, mais on sait que le tout-électrique est un pari qu’elles ne prendront pas facilement. La crise énergétique, notamment la hausse du prix de l’électricité, est un facteur qui n’a pas été pris en compte à l’époque de notre enquête, et qui va s’ajouter aux obstacles déjà évoqués. Le chemin pour décarboner efficacement la mobilité dans l’artisanat sera long...

« Étant donné que l’offre est très limitée pour qui souhaiterait acheter une camionnette ou un camion électrique, pénaliser les entreprises n’est pas une solution et freiner le recours à des alternatives émergentes non plus. Nous appelons donc les responsables politiques à prendre en compte les réalités de terrain, c’est-à-dire l’inadéquation qui existe aujourd’hui entre l’électromobilité et les besoins des entreprises artisanales. »

Propos recueillis par Isabelle Couset